« Les réactions politiciennes à cet attentat sont indignes. » – Ouest France

« Les réactions politiciennes à cet attentat sont indignes. » – Ouest France

Pourquoi refusez-vous la prolongation de l’état d’urgence ?

Tout simplement parce qu’il ne servira à rien. C’est assez curieux qu’on le prolonge alors que tout démontre qu’il n’a servi à rien dans l’affaire de Nice. Le tueur de Nice semble un parfait déséquilibré, bisexuel, qui boit de l’alcool, mange du porc, qui ne correspond en rien au parfait petit djihadiste et qui se saisit de l’ambiance générée par Daech pour faire parler de lui en quittant la vie. Le gouvernement a dit que l’on n’avait plus besoin des perquisitions administratives. Ces moyens d’exceptions étaient utiles au lendemain du 13 novembre pour donner un coup de pied dans la fourmilière. Ce n’est plus le cas.

Les lois votées suffisent à remplacer l’état d’urgence ?

Elles ne répondent pas au cas de Nice, puisque le tueur n’était repéré par aucun service de renseignement. Forcément, il semble qu’il n’était pas djihadiste ! Et elles n’ont pas empêché des failles à Nice – 64 policiers pour sécuriser 40 000 personnes, ne me semble pas raisonnable – Le préfet porte une lourde responsabilité. À Paris il en eût été autrement.

Peut-être n’avait-il pas les moyens…

Alors, il fallait que la manifestation soit interdite. Quoi qu’il en soit les lois – nombreuses – qui ont été votées sont utiles, mais elles ne nous feront pas gagner la guerre. Je ne veux pas participer à l’hystérisation du débat politique. Ce que nous avons à faire, ce n’est pas de mener une campagne présidentielle, mais de mener une guerre contre une barbarie qui veut créer la guerre civile en France. L’hystérisation du débat angoisse nos citoyens et sème les germes de la guerre civile.

Nous sommes en guerre, répètent François Hollande et Manuel Valls. Trouvez-vous que le pays est mobilisé ?

François Hollande n’ose pas expliquer aux Français ce qui se passe. Il a pris des décisions que je soutiens, notamment quand il intervient militairement au Mali, en Irak, en Syrie et en Libye pour lutter contre une barbarie qui égorgeait nos concitoyens otages, qui massacre des minorités religieuses et même des musulmans et dont l’objectif affiché est d’imposer sa loi dans le monde y compris chez nous. Mais, en même temps, nous vivons normalement. La France ne peut pas faire une guerre, là-bas, et vivre ici comme si nous étions en temps de paix.

Les mesures de sécurité sont insuffisantes ?

J’ai pris le Thalys. 40 % des gens qui sont passés avec moi ne sont pas passés sous les portiques. Si vous prenez les TGV pour Lille, il n’y a aucune sécurisation. M. le président de la République, assumez que nous faisons la guerre ! Il y aura hélas d’autres attentats. Votre devoir, ce n’est pas seulement d’envoyer des soldats français là-bas, c’est de mobiliser les Français, dans leur tête, leur expliquer que c’est une guerre globale. Après chaque attentat, passé l’émotion et la commémoration, le Président ne mobilise pas les Français, donc il ne peut pas susciter d’adhésion.

Vous êtes dans l’opposition. Approuvez-vous pour autant ce qu’elle dit depuis le drame de Nice ?

Si vous me voyez choqué, encore plus en colère, c’est parce que les réactions politiciennes à cet attentat sont indignes. On ne parle pas quand les cadavres sont encore chauds. On ne parle pas quand l’enquête judiciaire ne dit pas ce qui s’est passé. J’en veux autant aux responsables politiques qu’aux médias d’information en continu qui angoissent, stressent la population, sans rien savoir, pendant des heures, des nuits. On ne commente pas ce qu’on ne connaît pas encore. Ça ne fait que servir nos ennemis.

Parce que Daech n’attend que cela ?

On n’est pas dans une guerre classique comme en 39-45 ; on est dans une guerre asymétrique, de terroristes qui savent bien qu’ils ne peuvent pas envahir la France, nous battre militairement. Ils n’ont qu’un seul objectif, que tout le monde oublie, y compris les responsables de l’opposition qui sont intervenus ce week-end, bien trop tôt, bien trop fort et bien à côté de la plaque, ce que veut Daech,

c’est créer une guerre civile sur notre territoire. Pourquoi servir leurs plans ?

Tous responsables ?

La responsabilité est partagée par le chef de l’État qui ne mobilise pas la population, qui laisse la colère s’installer, et par une opposition qui prend le risque de diviser les Français en y voyant un moyen de campagne présidentielle ! Si c’est ça, alors, nous allons faire gagner les terroristes. Je refuse que notre attitude leur serve d’arme contre nous-mêmes.

Que faites-vous de la liberté de débattre ?

Tous les débats sont respectables, mais quand on sait de quoi on parle, et pas à chaud. Des attentats, il y en a sous ce gouvernement, il y en aura sous d’autres gouvernements. Il y en a dans des pays bien plus militarisés, bien plus policiers que nous. On ne peut pas empêcher tous les attentats, mais on peut mobiliser la population pour faire reculer le salafisme et la barbarie.

Qu’est-ce qui peut être fait là, tout de suite, ensemble ?

Ne mentons pas aux Français en disant qu’il y a des choses qui peuvent être faites tout de suite. Il y a un an et demi, j’ai proposé que l’on crée une garde nationale, parce que nos forces de l’ordre ne peuvent pas sécuriser en même temps l’ensemble des lieux publics, des transports, des industries, des églises, des temples, des écoles. Je suis maire de Drancy. On me demande de sécuriser 34 écoles quatre fois par jour avec quatre véhicules de police ! Il y a des centaines de milliers de Français qui sont prêts, si on les forme et si on les encadre, à venir défendre leur pays, une semaine par an. Encore une fois, le chef de l’État doit mobiliser les Français qui y sont prêts La deuxième garde nationale, ce sont nos enseignants car c’est un combat qui doit se mener par l’éducation et la culture contre une idéologie nihiliste. Pourquoi il n’y a pas eu d’explication et de débat dans nos collèges, lycées, universités et dans nos entreprises, sur ce qui se passe ? On va faire perdre la tête au peuple français qui ne veut pas de cette guerre civile, mais qui va finir par y entrer si on ne recrée pas de la cohésion nationale !

Vous êtes prêts, vous, centristes, à travailler à ces solutions ?

Mais on leur a proposé, depuis un an et demi ! Je ne fais pas de cette question une question électorale. Ceux qui gagneront la présidentielle, qu’est-ce qu’ils auront gagné si c’est sur les ruines de notre pays, sur la guerre civile et sur la défaite face à la barbarie ? M. Hollande a raté tellement de choses dans son mandat… Mais s’il y en a une qui doit réussir, c’est celle-là. Et c’est de la responsabilité de l’opposition autant que de la majorité.

Vous en appelez aux députés ?

Au-delà de l’émotion et du recueillement qui auraient dû être respectés, je demande au Premier ministre que nous ayons un débat à froid à la rentrée, sur la stratégie de la France dans la lutte contre le terrorisme. Cette stratégie doit être débattue pour être partagée. Ce n’est pas une guerre totale que nous avons à livrer mais une guerre globale, là-bas avec nos soldats, ici avec la mobilisation des Français pour participer à notre propre sécurité et enfin sur le plan des idées parce qu’à la fin c’est toujours par l’éducation et la culture que l’on triomphe de la barbarie. Ce week-end, ce qui était le plus triste, c’était de voir des gens réagir avec leur testostérone plutôt qu’avec leur cerveau.

Retrouvez l’interview de Jean-Christophe Lagarde dans Ouest France