Allons-nous perdre la guerre contre la barbarie ?

Allons-nous perdre la guerre contre la barbarie ?

 

Après les attentats de 2015, ceux qui ont été évités ou ont échoué en 2016, et ceux qui malheureusement viennent encore de nous frapper à Nice et à Saint-Etienne du Rouvray, c’est la question que chaque citoyen, chaque responsable politique, chaque relais médiatique devrait se poser.

Et la réponse est hélas que c’est devenu possible.

Pourtant, il n’y a aucun risque que les barbares de Daech n’envahissent notre territoire national. Pourtant ils sont militairement en train de perdre un à un les bastions d’où ils propagent leur idéologie nihiliste et d’où ils préparent leurs attaques contre le monde civilisé. Pourtant, leur recrutement recule et leurs moyens d’actions terroristes deviennent de moins en moins organisés et de plus en plus diffus.

Mais pourtant, après chaque attentat on voit dans les réactions (ou l’absence de réaction) politiques, on mesure dans le déchainement des excités sur les réseaux sociaux, on entend des réflexions dans la population qui montrent que nous entrons chaque jour un peu plus dans le piège que nous tend l’ennemi.

Nous sommes un grand peuple, nourri par une longue histoire, fort de valeurs universelles qui ne sont contestées que par des marginaux, disposant d’une puissance économique et militaire sans commune mesure avec cet ennemi, cette idéologie politique qui se cache derrière le dévoiement d’une religion.

Cet ennemi sait pertinemment qu’il n’a pas les moyens de nous affronter et de l’emporter. Alors sa seule chance, sa seule véritable stratégie c’est que nous nous affrontions nous-mêmes.

Et cela c’est hélas devenu possible. Car ce grand peuple français que nous constituons n’est plus dirigé au moment même où nous sommes attaqués dans une guerre dont nous ne sommes pas coutumiers, dont on n’explique pas les causes et pour laquelle nos dirigeants ne mobilisent pas notre Nation qui a pourtant tous les ressorts pour vaincre. Et c’est hélas la responsabilité de la majorité en place comme de l’opposition. Je devrais dire des oppositions.

Le pouvoir en place se contente d’une lutte policière en dedans, d’une guerre militaire en dehors et de commémoration et de compassion chaque fois qu’on nous frappe. L’opposition démocratique, à l’approche des présidentielles, a commencé à chercher des responsables de nos maux, au lieu de participer à l’élaboration de solutions. Quant à l’extrême droite, elle s’abandonne avec délice à ses rêves de guerre civile ou de religion en espérant que le pays s’y laissera entraîner. Sur ce dernier point les réseaux sociaux sont effrayants.

Pourtant, il suffit de connaître et comprendre la stratégie de l’ennemi pour la combattre et la vaincre en évitant de s’en faire les complices involontaires, les acteurs de notre propre défaite. Ils veulent nous diviser, créer une guerre de religion, une guerre civile chez nous, comme ils ont su le faire avec succès chez eux. Il ne tient qu’à nous, à chacun d’entre nous, à nous tous qui portons ce beau titre de citoyen de conserver la tête froide là où le but de chaque attaque est de nous la faire perdre. Il ne dépend que de nous (et je sais que c’est difficile, pour moi y compris, devant tant d’images d’horreurs barbares) de réfléchir au meilleur moyen de les combattre au lieu de réagir avec nos sentiments légitimes. Il n’est qu’en nous ce pouvoir de résilience (c’est à dire de résister ensemble aux chocs, à surmonter ces épreuves qu’on nous inflige) dont dépendra uniquement notre défaite ou notre victoire.

Pour faire grandir notre résilience au fur et à mesure des attaques que nous subissons, les acteurs politiques de la majorité comme de l’opposition ont une lourde responsabilité : définir et partager une stratégie de guerre. Une stratégie commune, partagée, d’autant plus que des échéances approchent et qu’une alternance est possible. Or notre stratégie, notre effort de guerre ne doivent pas être interrompus, affaiblis ou modifiés en fonction de résultats électoraux. Ce serait le meilleur cadeau à faire à nos ennemis qui n’ignorent rien de nos débats, de nos faiblesses.

Or de stratégie, dans cette guerre, la France n’en n’a pas. Si on ne peut pas reprocher au Chef de l’Etat chaque attentat, car tous ne sont et ne seront pas évitables, le peuple français a besoin que le Président de la République devienne un véritable chef de guerre. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, François HOLLANDE est le Chef de l’Etat, le chef des Armées, le père de la Nation pour encore presqu’un an. C’est à lui que revient le rôle d’établir une stratégie, de la faire partager et de mobiliser la Nation derrière elle. Il a le devoir d’expliquer à chaque Français pourquoi nous livrons cette guerre afin que nos morts prennent du sens. Il a la responsabilité de mobiliser les citoyens pour leur permettre d’être acteurs de notre sécurité collective au lieu de n’être que spectateurs et victimes potentielles des massacres. Il est seul à pouvoir montrer que la France n’est pas seule à être attaquée mais qu’elle l’est parce que nous avons laissé grandir de lourdes failles éducatives, sociales et morales dans notre pays.

Pour gagner, nous ne pouvons nous contenter de renforcer les lois anti-terroristes, même si c’est utile. Pour l’emporter, nous ne pouvons éviter le débat idéologique de la supériorité de notre vision humaniste et émancipatrice de la société face à une barbarie nihiliste. Pour vaincre, il faut une stratégie globale; militaire hors de nos frontières, une politique sociale, religieuse, policière à l’intérieur de notre territoire et un combat idéologique assumé face à l’obscurantisme.

C’est faute de cette stratégie partagée que j’ai demandé un débat au Parlement à la rentrée pour que nous en dressions une, enfin.

A l’heure où Daech constate ses revers militaires qui le conduiront à sa perte, on voit aussi que la stratégie d’attentats s’accélère, se diversifie, se généralise dans l’espoir de nous diviser, de faire éclater notre société.

Il est donc urgent que notre effort militaire soit intensifié en Irak, en Syrie, au Sahel afin de ne laisser aucun sanctuaire, aucune ressource logistique et médiatique à ces attaques. Il est primordial de se fixer des priorités, parmi lesquelles un accord avec la Russie et l’Iran sur l’avenir de la Syrie (même si celui-ci ne nous plaît pas), afin d’assurer une sortie politique à une future victoire militaire là-bas. Il importe aussi qu’on clarifie sur qui compter dans ce combat tant, par exemple, la Turquie qui est censée être notre alliée est ambiguë face à cet ennemi.

Il est indispensable que nos policiers, nos gendarmes, nos militaires, soient soutenus en permanence par les Français, et pas seulement lors d’attentats. Il est essentiel de constituer une Garde Nationale pour permettre à tous les citoyens volontaires de participer à notre sécurité collective au lieu de ne pouvoir que subir et de voir monter la colère. Elle permettrait de mieux sécuriser ces milliers de moyens de transport, d’installations industrielles, de centre commerciaux, d’écoles, de lieux de culte, que nos admirables forces de l’ordre ne peuvent suffire à protéger. En même temps, elle canaliserait l’énergie et la générosité dont les français font preuve après chaque attaque.

Il est urgent que les passerelles entre nos services de renseignements français, mais aussi avec les autres pays alliés, soient améliorées. Il est nécessaire de hiérarchiser la réponse apportée aux individus fichés « S » en fonction du degré de dangerosité estimé, et d’expulser tout étranger qui présenterait un risque pour la paix civile. Dans le même temps, il faut avoir le courage de restreindre les libertés de nos concitoyens qui font allégeance à l’ennemi ou participent à sa propagande, y compris en interdisant le retour en France de ceux qui sont partis rejoindre Daech. C’est aussi le rôle de l’Etat, ainsi que je l’avais demandé au Président de la République en Janvier 2015, d’obtenir, voire d’imposer, l’organisation d’un Islam de France afin d’avoir enfin des interlocuteurs fiables et réguliers.

Il est important qu’aient lieu dans chaque école, dans chaque entreprise ou administration, dans chaque commune des explications et des débats pour expliquer les causes de cette guerre, les raisons pour laquelle nous la livrons, la stratégie ennemie et la notre, c’est à dire le devoir de chacun. Il est tout aussi important que la sphère médiatique, particulièrement à l’heure de l’information permanente, reconsidère son rôle dans ce combat, cède moins à la sensation et se recentre sur l’explication, car elle partage, au delà de ses intérêts commerciaux, ces valeurs fondamentales que nous défendons.

La liste serait encore longue de ce que nous avons à faire, notamment pour résorber les fractures sociales et éducatives qui fournissent aux barbares de la chair à canon qui a souvent grandi ici, cependant que les candides et les démagogues disent vouloir nous protéger par des douaniers. Mais ce débat, ce partage d’une stratégie est désormais urgent. Sinon les Français peuvent perdre la tête et, tel un taureau face à la « muleta », se précipiter là où les tueurs nous attendent.

C’est parce que je refuse les polémiques stériles et indécentes qui font le jeu ennemi, c’est parce que j’ai confiance dans l’intelligence et la force de notre peuple pour peu qu’on lui explique, que j’appelle à ce débat sans procès entre nous, seulement à la recherche de nos solutions.

Jean-Christophe LAGARDE

Président de l’UDI

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